Un stage pour réussir à l’oral par Hélène Constanty
Deux jours sur le gril à la Cegos afin d’optimiser la prise de parole en public.
Eprouvant et plutôt probant
Pia Martin, formatrice à la Cegos, m’avait prévenue: pour que ma présence de journaliste soit acceptée par les participants au stage «Optimisez votre impact à l’oral», il allait falloir que je joue le jeu pendant deux jours, comme n’importe quel participant. J’avais donc autant le trac que les autres en pénétrant, ce jeudi d’octobre, dans l’Espace Moncassin, une grande usine à stages du XVe arrondissement de Paris. C’est ici que nous allions passer deux jours, enfermés dans ces salles anonymes, éclairés par les néons du plafond, moquette grise au sol, avec pour seul décor deux paperboards, une caméra vidéo et un écran de télévision.
9 h 30. Nous voilà tous les 12, assis sur nos chaises, face à cinq animateurs debout en rang d’oignons, qui se présentent un par un: «Marine Perroz, styliste. – Violaine Fournier, chanteuse lyrique. Avant de devenir chanteuse, j’ai fait une école de commerce et du marketing en entreprise. – Anne Gillette. Je suis formatrice depuis dix ans, après des études supérieures à Sciences po et une expérience professionnelle en agence de communication. – Gilles Fraigneau. Je suis comédien et metteur en scène depuis dix-sept ans et formateur depuis dix ans. – Pia Martin. J’ai été comédienne pendant dix-sept ans, et j’ai travaillé quelques années en entreprise avant de rejoindre la Cegos.»
Pas un bruit sur les chaises rouges. Certains ont dû se lever très tôt ce matin. Ils ont posé leur petite valise à roulettes dans un coin de la pièce. Je les imagine pensant à leur propre parcours professionnel, à leurs envies, à leurs frustrations et se disant: «C’est étonnant, ces formateurs ont tous eu deux ou trois vies. On peut avoir fait une école de commerce et devenir chanteuse lyrique.» Histoire de nous mettre tout de suite dans le bain, chacun des participants va se présenter devant les autres, pendant cinq minutes, en étant filmé.
Gilles Fraigneau s’installe derrière sa petite caméra sur pied: «Qui se lance le premier?» Un grand brun, assis au premier rang, se lève immédiatement. La quarantaine, cheveux ras, costume gris, chemise grise, il se campe devant le groupe, face à l’objectif : «Action», dit l’animateur en levant la main comme un pro. «Je m’appelle Hubert, je suis commercial dans une grande entreprise de télécommunications», commence le stagiaire. «Plutôt à l’aise, Hubert», pensent, admiratifs, les spectateurs en écoutant le vendeur parler de son métier. Défilent ensuite deux femmes aussi décontractées que lui: Carmen, directrice des ressources humaines, suivie de Magali, responsable commerciale.
Je me lève à mon tour, un peu gauche. C’est terriblement intimidant de se présenter ainsi, les bras ballants, et d’improviser un exposé de cinq minutes. A ma droite, à moitié assise sur une table le long du mur, la styliste me dévisage de bas en haut. Elle s’attarde sur mes pieds, chaussés de baskets gris métallisé. Du coin de l’oeil, je la vois griffonner sur son bloc. Aurais-je commis une faute de look? Ceux qui ne sont pas encore passés sur le gril s’agitent sur le bord de leur siège, de plus en plus mal à l’aise.
Voici Christine, la cinquantaine, déléguée du personnel d’une entreprise industrielle, les joues roses d’émotion («Je suis la reine du trac», dit-elle). Puis Caroline, commerciale, qui parle en regardant droit devant elle. Le dernier à passer, Hicham, commercial, a mis son badge à l’envers et s’excuse, les mains dans les poches, de son manque d’aisance («A l’université, on est mal formé à l’oral»).
11 h 30. Marine Perroz va nous parler du look. «Vous connaissez la règle des 7-38-55?» demande-t-elle. Pas une main ne se lève. Devant 12 personnes ébahies, la styliste dessine, au feutre noir, un camembert sur une grande feuille de papier. «La première fois que vous rencontrez quelqu’un, explique-t-elle, 55% de votre impact passe par la communication non verbale, c’est-à-dire votre corps, vos gestes, vos vêtements. 38% est dans le ton de votre voix. Le contenu de votre discours ne compte que pour 7%.»
Murmures dans la salle. «Il sort d’où, ce camembert?» marmonne quelqu’un. Certains font la moue, dubitatifs. Surtout les hommes, qui, tout à coup, semblent remarquer avoir oublié de cirer leurs chaussures ce matin. «Vous êtes d’abord vus, puis entendus, puis enfin compris», insiste la formatrice, avant de prendre une nouvelle feuille de papier et d’y dessiner un A, un I, un O et un Y. «Chacune de ces lettres évoque une silhouette. A comme Sarkozy, I comme Villepin, O comme Raffarin, Y comme Stéphanie de Monaco. Certains vêtements affinent la silhouette, d’autres l’alourdissent.» Elle achève son topo en énonçant trois principes pour le grand tri du placard: choisir la bonne taille, éliminer les vêtements usés et ceux qui sont démodés. Aussitôt, j’ai l’impression de voir quelques-uns de mes comparses stagiaires passer mentalement leur penderie en revue.
12 heures. La matinée se termine par un exposé sur le thème «structuration et méthode». Le sujet est aride, mais Gilles Fraigneau sait tenir son public en haleine. Il va et vient, interpelle les stagiaires, dessine à grands traits sur le paperboard. Le clou de son intervention? La «lanterne magique» et le «bristol magique», qui devraient nous permettre de réussir nos interventions en public sans trop bafouiller. L’animateur dessine un grand rectangle et note dans chaque coin l’un des quatre mots suivants: moi, public, objet, contexte. Puis il ajoute, en haut et au milieu: objectif.
Voici la lanterne magique. L’idée? Avant de se lancer fébrilement dans la préparation d’un exposé, il faut avoir répondu à un certain nombre de questions: «Quel est mon objectif? Quelles sont les attentes de mon public? Et moi, qui suis-je pour eux? Quelle est ma légitimité? Dans quel contexte est-ce que je prends la parole?» Quant au bristol magique, il s’agit tout simplement d’un rectangle de papier cartonné, sur lequel doit figurer le fil conducteur de l’exposé. Dans la colonne de gauche, le plan: introduction, développement en trois points, conclusion. Dans la colonne de droite, quelques mots clefs qui nous aideront à ne pas perdre le fil.
14 heures. Après un plateau-repas, les stagiaires sont répartis en deux groupes. Me voici affectée à l’atelier «trac, présence et émotion», animé par Anne Gillette. Elle commence par demander à chacun de parler du trac ressenti ce matin. Nous devons ensuite inscrire sur des Post-it roses les causes du malaise: «peur de mal faire», «regard des autres», «environnement hostile», «crainte de ne pas trouver les mots justes»… Un strip-tease pas très agréable, mais instructif.
A 14 h 40, brève interruption de séance: Michael est envoyé en consultation chez la styliste, qui va lui donner des conseils personnalisés sur sa tenue vestimentaire. Puis il devra se rendre dans une autre pièce et improviser, devant la caméra de Pia Martin, un court exposé sur le thème «Expliquez l’électricité à un enfant de 12 ans». Au cours de l’après-midi, nous assisterons tous, un par un, à ces petites séances devant les deux formatrices.
Le rythme est soutenu. Deux jours, c’est court pour absorber autant d’informations nouvelles sur des thèmes aussi divers. Pendant ce temps, l’atelier trac ressemble à un atelier d’improvisation théâtrale. Debout en rond au milieu de la pièce, nous nous exerçons à faire des grimaces, à bâiller, à secouer les bras, à respirer avec le ventre. Ensuite, chacun de nous doit effectuer une entrée en scène: pénétrer dans la pièce, s’installer au milieu, regarder les autres dans les yeux, respirer profondément et lâcher d’un air convaincu un «bonjour» chaleureux et sonore. Qui a dit «facile»?
Vendredi, 9 heures. En attendant les retardataires, mon regard s’attarde sur les tenues des stagiaires. Les conseils de la styliste ont produit leur petit effet! Hubert a égayé son costume sombre avec une chemise à carreaux bleus, Christine a troqué son tailleur gris un peu étriqué pour un pantalon de cuir noir et une chemise bleu tendre, assortie à ses yeux.
Gilles Fraigneau commence la journée par une parodie de présentation ratée. Il veut nous démontrer que le logiciel PowerPoint – qui sert à réaliser des transparents projetés sur écran – est un outil dont il convient d’user avec modération. L’animateur se place debout, dos à la salle, et fait mine de lire des diapositives imaginaires sur un écran placé devant lui. Christine l’interrompt: «Je ne vois que votre dos.» Derrière moi, François, cadre bancaire, s’esclaffe: des présentations comme celle-ci, du style 75 diapos pour trente minutes d’exposé, il semble en avoir vu plus d’une dans son entreprise!
10 heures. Nous voici de nouveau répartis en deux groupes. Pour mes camarades d’hier et moi-même, direction l’atelier voix. Violaine Fournier commence par nous demander ce que nous ressentons lorsque nous entendons notre propre voix enregistrée. Les réponses fusent, plutôt négatives: «On ne se reconnaît pas», «déstabilisant», «j’ai l’impression de parler fort, mais on ne m’entend pas bien».
La chanteuse lyrique a du pain sur la planche. A ses questions pourtant basiques («Combien de cordes vocales avons-nous? Montrez-moi où se trouvent vos poumons?») nos réponses sont hésitantes et le plus souvent erronées. Elle nous montre des planches anatomiques et nous enseigne quelques rudiments de technique: voyez comme les sinus et la boîte crânienne servent de caisse de résonance…
Puis nous passons à la pratique. Chacun enlève ses chaussures, s’allonge au sol sur un tapis de mousse rouge et répète consciencieusement les exercices: souffler, soupirer, tirer bien fort la langue, grimacer avec la bouche. «Heureusement que mes collègues ne sont pas là pour me voir», s’amuse Magali. Christine, qui était sortie dix minutes pour se livrer à un petit exercice devant la caméra, revient tout sourire, sa minicassette vidéo à la main: «J’aime déjà mieux ma voix, elle est moins aiguë. Tout part de là», dit-elle en montrant son ventre. A midi, l’ambiance est franchement détendue. Debout en cercle, nous lisons à haute voix un texte de Raymond Queneau, Exclamations, extrait d’Exercices de style.
14 heures. Le poisson froid du plateau-repas a été vite avalé. Nous avons moins d’une heure pour préparer le «grand oral». Chacun va devoir retourner devant le groupe et faire une présentation orale sur un thème de son choix. Les prestations seront filmées, puis visionnées et évaluées par écrit par chacun des participants, à l’aide d’une grille d’observation. En attendant, on se croirait dans un lycée, le jour de l’oral du bac. Dans l’une des salles silencieuses, Valérie griffonne quelques mots sur son bristol. Elle a ouvert son bloc à la page «lanterne magique» et tente d’appliquer les principes appris hier. Dans la salle fumeurs de la cafétéria, Virginie et Hicham en sont déjà à leur troisième cigarette.
15 heures. Tout le monde est rassemblé dans la grande salle. L’animateur énonce les règles du grand oral: «L’ordre de passage sera tiré au sort. Vous poserez votre bristol sur cette tablette. Pas le droit de le tenir à la main.» Caroline passe la première: «Je suis responsable d’un centre d’aide par le travail, vous êtes mes clients, vous allez me servir de cobayes pour tester mon discours commercial.» Par rapport à sa prestation d’hier, c’est le jour et la nuit. Elle est posée, regarde son public. A la fin du troisième exposé, ma voisine Magali me glisse à mi-voix: «Cela me parait interminable, ces cinq minutes.» Devant nous, Hubert se rend compte qu’il a rédigé son pense-bête en trop petits caractères et termine en s’excusant: «J’ai été incapable de relire un seul mot.» Christine, la syndicaliste, a choisi de nous parler des nouvelles dispositions du droit individuel à la formation.
Les prestations sont certes inégales, imparfaites, mais, ce qui frappe, c’est l’assurance prise par les stagiaires. Hier, la plupart d’entre eux étaient coincés, hésitants. Aujourd’hui, ils respirent mieux, se tiennent droits sur leurs jambes, parlent d’une voix plus sonore. Se pourrait-il qu’en deux jours, et pour 1 420 € hors taxes, chacun d’eux ait pris goût à la prise de parole en public?