LES VERTUS CURATIVES DE LʼART ORATOIRE
Le Figaro Santé – 18 septembre 2017
PASCALE SENK
MARIE-FRANCE CASTARÈDE Psychanalyste
ÉLOQUENCE
Il est courant de dire que nous vivons sous le règne de lʼimage. En réalité, de nombreux éléments nous montrent que, depuis quelques années, nous sommes insidieusement passés de la gestion de lʼimage à lʼère de la parole. Discours, débats, « pitchs », conférences se multiplient… Et lʼéloquence, si lʼon en croit lʼimmense succès des TED Talks sur la toile, est en passe de devenir le talent décisif.
Aux dernières élections présidentielles, en France comme aux États-Unis, le retour des tribuns et virtuoses du langage sʼest imposé. Dans le cas de Donald Trump, son registre verbal a été remarqué comme « outrancier », tandis que chez Emmanuel Macron, la solennité et la dimension littéraire lʼemportent. Ainsi, lʼécrivain Sophie de Thalès décrit-elle, dans un facétieux ouvrage « Le Petit Macron de la langue française » (Éd. TutTut), les procédés qui marquent le style des discours du candidat comme du président : lʼart de la répétition, lʼemploi dʼun rythme crescendo ternaire… et lʼusage dʼun vocabulaire juste ce quʼil faut de désuet – cf. la fameuse « poudre de perlimpinpin » assénée à ses rivaux politiques… Le bon exposé oral sʼavère donc aujourdʼhui aussi inévitable que redouté. Sarah Hassine, coach, consultante et sophrologue qui accompagne dirigeants dʼentreprise et étudiants préparant de grands oraux, lʼobserve : « Tous ont de grandes habitudes des écrits, des rapports, mais lʼoral leur fait peur. Ils se jugent, se trouvent trop petits ou nʼaiment pas leur voix, car ils se comparent sans cesse aux ténors dʼInternet. » .
Mais sur quoi sʼappuie-t-elle réellement, cette précieuse éloquence que tous convoitent? « La dimension non verbale – lʼattitude, les gestes, la posture… – détermine 55 % de la prestation, explique la coach. Aussi travaille-t-on sur la présence, lʼhabitation de lʼespace, autant que sur la voix et lʼélocution.» « La puissance de lʼempathie » Ce travail dʼengagement du corps – notamment affiné grâce à la sophrologie et la visualisation – sʼavère dʼautant plus nécessaire aujourdʼhui que la plupart de nos relations aux autres sont médiatisées par lʼoutil technologique. « Nous sommes habitués à exprimer nos émotions par symboles interposés – des smileys -, relève Sarah Hassine, ce qui entraîne une raréfaction des expressions émotionnelles, étant si nécessaires lors dʼune prestation orale.»
LʼEMOTION, LA PRESENCE…
Pour Abyale Nan Nguema, chanteuse de soul et jazz, formatrice en « team building » par le travail vocal, qui vient de publier LʼArt délicieux dʼapprivoiser sa voix (Éd. Leduc.s), celles-ci relèvent du « souffle », dans tous les sens du terme. « Lorsquʼon relit les grands discours, ceux de Mandela, par exemple, on note lʼusage quʼil faisait dʼimages fortes, en référence à la nature, par exemple : “À mes compatriotes, jʼaffirme que chacun dʼentre nous est aussi intimement lié à la terre de ce beau pays que le sont les célèbres jaracandas de Pretoria et les mimosas de la brousse”, explique la formatrice. Quant à Simone Veil, son grand discours à la loi IVG avait, dès les premières phrases, la puissance de lʼempathie. Cʼest une règle : quand on parle vraiment aux autres, on leur parle aussi dʼeux. »
Est donc performant celui qui sʼadresse pleinement à son auditoire, car il a à la fois lʼenvie de faire passer un message et la conviction de lʼimportance de celui-ci.
« Le socle de lʼéloquence, cʼest lʼauthenticité de la motivation», estime Sarah Hassine. Aussi la coach fait-elle travailler son client en ce sens, notamment à travers quelques questions : « En quoi est-ce essentiel à vous de dire cela ? Avez-vous plutôt envie dʼêtre aimé ou dʼavoir raison ?» « Peu à peu, la personne isole et précise les messages clés qui seront en adéquation avec ce quʼelle veut faire passer.»
Cʼest ainsi que sʼimpose la cohérence entre son discours et soi, ce sur quoi on va sʼappuyer pour choisir les mots. Ainsi, la solennité des discours dʼEmmanuel Macron était-elle dès le début en phase avec la solennité de la fonction quʼil briguait. « Le style Macron, fleuri et parfois désuet, signe bel et bien un retour à lʼautorité présidentielle et verticale tant souhaitée par notre président », écrit Sophie de Thalès. Reste le talent oral maximal : trouver son style, sa singularité. « Mettre de soi dans sa prise de parole est essentiel, explique Abyale Nan Nguema. Or nous nʼavons pas été éduqués à cela et nous nous sommes plutôt conformés à ce que les autres attendent de nous. » Une véritable rééducation à sa propre parole sʼimpose donc. Pas dʼinquiétude : celle-ci passe souvent par le plaisir : plaisir des mots quʼon aime sʼentendre dire, quʼon aime « avoir en bouche » et faire résonner dans tout son corps. « Ne lʼoublions pas, rappelle la chanteuse, la juste parole, cʼest du plaisir partagé. »
« Mettre de soi dans sa prise de parole est essentiel. Or nous nʼavons pas été éduqués pour cela et nous nous sommes plutôt conformés à ce que les autres attendent nous»
ABYALE NAN NGUEMA, CHANTEUSE
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